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La bataille du rail

Si vous avez eu un grand père cheminot qui a fait la seconde guerre mondiale, c’est que vous avez au moins 45 ans…et vous avez sûrement entendu parler voire vu « la bataille du rail » de René Clément (5.727.203 entrées tout de même).

Un monument ce film, palme d’or à Cannes en 1946 (et prix du jury et sélectionné pour le Cannes classique de 2010). LE premier festival après guerre pour un grand film de Clément (le monsieur de « la belle et la bête » avec Cocteau en 46 et de « jeux interdits » en 1952…cauchemar des apprentis guitaristes des années 60 ou encore de « paris brûle-t-il ? » en 1966)

Alors porté par un élan, j’ai voulu revoir le film et j’avais aussi le livre (publié en 1949 par René Clément et Colette Audry, la dialoguiste, une résistante communiste) et préfacé par De Gaulle, s’il vous plait…

Bon…un monument certes, mais il y a à dire et à redire….

Commençons par une approche globale. Le livre et le film se suivent très fidèlement dans le déroulé. La première partie est assez documentaire s’étalant en gros de 1940 à 1944 alors que la seconde est plus construite comme un récit avec des héros se concentrant sur mai-aout 44. A l’origine court métrage intitulé Résistance-fer, l’ensemble fut transformé en film de 90 minutes. Les dernières séquences sont plus courtes pour donner une impression d’accélération des événements.

Panorama (les scènes durent en moyenne 7 minutes)

Partie1

Présence d’un narrateur

livre

Analyse critique du film

1. L’éveil

(2’09 à 7’30)

Face à la défaite de 40, les premières consciences s’éveillent et, isolément, les premiers résistants agissent contre les allemands.

C’est un panorama de tous les actes possibles…passages, renseignements, lettres, détournements

Cette partie tournée comme un documentaire avec voix off multiplie les exemples d’action de la plus banale à la plus osée...sorte de catalogue à se remémorer pour montrer combien l’action a été essentielle (ce qui est vrai)

Ces actes sont centrés sur les passages de la ligne de démarcation (cache du courrier, passage de la ligne de démarcation comme faux cheminots, caches dans les fourgons ou les tenders)

La scène de cache en tender est détaillée avec les Allemands qui forcent le remplissage. Cette scène laisse apparaitre un futur chef de la résistance : Athos

2. Organisation

(7’30 à 14’53)

D’actes en actes, certains prennent conscience qu’il faut être plus nombreux et organisés, ils recrutent et passent des consignes de sabotages totalement irréalistes dans leurs présentations

On a une présentation des rouages de la SNCF avec les liens entre le PC : comprendre Poste de Commandement (qui est aussi la tête de la résistance) et le terrain. Sous les ordres d’un bahnhof, les cheminots à tous les étages organisent les retards…jouant sur la crédulité des bahnhof qui sont pourtant des professionnels de la DR (qui peut croire qu’ils ne connaissent pas leur affaire ?).

Mise en place d’une présence résistante et recrutement par connaissance…qui peut croire que c’est si simple ? En 1940 certains des premiers résistants seront arrêtés à cause d’un manque de prudence. On ne devient pas résistant comme ça, on n’a pas de contact comme ça. LA méfiance est de mise… effet de mise en scène ici ?

Les premières actions (infos, renseignements) se mettent en place...sans aucune précaution dans le film; comme cette distribution de tracts dans les vestiaires occupés.

Enfin, une réunion clandestine mais nombreuse fait un déroulé des actions possibles dont celle des bombes magnétiques (avec distribution genre panier pique nique)…actions certes réelles mais je doute qu’elles furent présentées comme ça (besoin du film encore)

Scène qui se termine par une patrouille où quelques cheminots font semblant de travailler (semblant non remarqué par les Allemands)…évocation du risque permanent…risque lui même menacé puisque la patrouille s’éloigne suite à une alerte aérienne déclenchée par un cheminot. Enfin sabotage d’une loco par une bombe sur un cylindre (endroit très voyant).

3. Premiers drames

(14’53 à 21’41)

Face aux sabotages qui se multiplient, les Allemands prennent 6 otages au hasard qu’ils fusillent

La transition entre les scènes se fait par la multiplication des affiches de l’appel à la responsabilité à la menace.

S’en suit une scène de discours (traduit) d’un officier allemand sur le tablier d’une loco face aux cheminots, sa gestuelle et son débit sont calqués sur les discours d’Hitler. « on vous tend  la main mais si vous tendez le poing, on vous cassera la gueule ».

Puis suite à une nouvelle série de sabotages à la bombe, 6 otages sont exécutés…l’ensemble est tourné dans le silence sauf quelques ordres en allemand, bruits divers dont les bottes.

Pendant ce temps et en plein jour, Louis le résistant (et traducteur) perce les cuves des citernes et manque de se faire tuer (il a une perceuse électrique c’est bruyant mais aucun fil n’est branché…) ; il est sauvé par un ami qui tue une sentinelle, ils l’enterrent dans un tombereau de charbon de la DR.

La scène se termine par l’exécution des cheminots centrée sur le visage du dernier otage. C’est une scène forte où toutes les locos se mettent à siffler en même temps que l’exécution…hommage de tous aux sacrifiés.

4. Le chat sort du sac

(21’41 à 24’27)

L’organisation transmet des infos par radio à Londres. En retour, ils reçoivent l’info du débarquement

On explique que les cheminots centralisent les renseignements à transmettre aux Alliés ; le papier donne la date du 3 juin 42.

Le (la) radio est installé (e)  dans les combles de la gare (être découvert = peine de mort). La scène permet de montrer le rôle des messages codés venus de Londres et donnant les instructions aux FFI avec un travelling du pressoir Morse jusqu’à la fenêtre (pom pom pom pom ici londres sur fond d’installations).

Et on passe directement au 6 juin 44

Partie 2 après 24’’

 

Plus incarnée

1. « Apfelkern »

(24’27 à 27’34)

 

A partir de ce chapitre, on suit les efforts de la résistance pour empêcher le convoi Apfelkern (pépin de pomme) de 12 trains d’atteindre le front de Normandie afin de permettre aux Alliés de conforter leurs positions.

La seconde partie (avec transition où chacun regarde la carte) ouvre sur Rommel : responsable du mur de l’atlantique depuis le 5 nov 43. il ordonne d’utiliser les trains pour amener des renforts. Après un bref échange du trajet entre les bahnhofs de la Transport Kommandantur, la balle passe dans le camp des résistants qui doivent ralentir ou stopper les troupes allemandes. On a l’impression que ce sont eux qui le décident.

Ils orientent le parcours et bizarrement, le train est à l’heure. Les Bahnhof sont encore dupés.

On dévie et on tente de bloquer le train (cela durera 2 semaines)…crédible ?

2. le chef de gare de st André

(27’34 à 33’43)

A la gare de St André, les cheminots font dérailler un train remisé pour bloquer les voies. Le chef de gare complice est ligoté pour faire croire à un acte du maquis

Camargue (second au PC) fonce vers la gare de St André (arrivée 21h30 le 21 juillet 44), où il trouve des sympathisants pour faire dérailler un vieux train garé. Il faut le remettre en chauffe, trouver un mécano (retraité : évocation de la guerre précédente mais les mécaniciens sont majoritairement restés à leur poste). Tout saboter et maquiller ça en acte du maquis. Pas très réticents au final malgré le danger. On remplit la loco avec des seaux…la loco est en chauffe, il faut encore jour ???

Le chef de gare est ligoté pour terminer la mise en scène (il est 4h)

3. Histoires de grues

(33’43 à 40’43)

La grue venue dégager la voie est sabotée et bascule obligeant l’intervention d’une grue plus puissante. Cela accumule les retards

Il s’est passé 6h avant que le chef de gare libéré ne puisse prévenir le PC

Les dialogues en allemand font tout à fait artificiels.

La ligne sabotée est censée être la grande ligne mais la scène est tournée sur une petite ligne à voie unique.

S’en suit la grande scène du dépannage avec sabotage d’un ancrage de la grue.

Ici un résistant prend un anneau d’ancrage (démontage à la main ???) pour le couper à la scie dans le wagon atelier…irréaliste, il faut se glisser sous le regard des allemands, puis transporter la pièce, la couper (temps et bruit) et la remettre…

on accuse une fatigue ; il est surprenant que les allemands ne se rendent pas compte de la coupure nette de la pièce…

Si la scène est inspirée, le sabotage de la pièce devait être en amont et non sur place (trop de risques).

La grue se couche, il en faut une plus grosse. Du coup, l’Apfelkern est à l’arrêt dans la campagne, les soldats s’occupent peu pressés d’aller au front

4. Où le maquis fait son apparition

(40’43 à 45’39)

Le train de secours avec la grue est arrêté par le maquis contacté par les cheminots. Il intercepte le train

La voie est dégagée et rétablie, le train de secours rentre. Le maquis local, prévenu, intervient. Il stoppe le train

 

5. Le train fantôme

(45’39  à 50’)

Le maquis fait repartir le train en marche arrière à pleine vitesse sans personne à bord pour qu’il déraille…ce qu’il ne fait pas.

Le train est vidé et le maquis le fait repartir à pleine vitesse en marche arrière pour qu’il déraille ; curieusement le chef du maquis sait conduire et inverser la marche.

Tout est mis en œuvre pour faire dérailler ce train, il manque de faucher des ouvriers de la voie mais ne déraille pas et s’arrête par manque de pression.

On voit l’aiguilleur chargé de dévier le train dans cette scène

6. Le blindé

(50’ à 1 :04’)

Pour protéger leur convoi, les Allemands font intervenir un train blindé. Attaqué par le maquis, l’opération est un désastre qui voit la mort d’un des piliers de la résistance

L’Apfelkern finit par repartir mais il est couvert par un train blindé (le Panzerzug 32…authentique).

Scène épique (David contre Goliath) de maquisards face au blindé sans savoir vraiment ce que c’est…il y a beaucoup de jeunes inexpérimentés et malgré un bazooka, ils perdent la bataille. Louis le Résistant est tué.

L’acte est suicidaire et la défaite du groupe l’atteste.

Des vues exceptionnelles du Panzerzug

7. La fin du 1504

(1 :04’ à 1 :11’)

Le 1504 (Apfelkern) s’apprête donc à passer, les cheminots résistants veulent le faire dérailler juste après le passage du blindé qui est très dangereux pour l’équipe de conduite. Le mécanicien se sacrifiera.

Visite de l’ingénieur qui s’avère être un responsable de la résistance (hommage à Louis Armand dont l’acteur a des airs). Puis préparation du déraillement du 1504 au pk 212. On met le mécano au courant mais c’est risqué…il sera tué

Scène mythique du film avec la chute du convoi dans le ravin…réalisée avec du vrai matériel et 3 caméras.

La loco est une 140 Pershing (conduite à droite) amenée par les américains en 1918 et intégrée au parc SNCF.

Contrairement à ce qu’on lit partout, ce n’est pas le blindé qui déraille mais le premier train du convoi de renforts Apfelkern (le 1504).

Il y a une faute dans le montage des séquences puisque le train est sur un remblai mais les vues du convoi sont en tranchée. De plus, le train passe sur voie unique mais déraille sur voie double côté droit de circulation.

8. Coupez le courant

(1’11 à 1 :13)

Finalement, le reste du convoi est basculé sur un autre secteur que celui contrôlé par les héros. Mais il est sous caténaires et les cheminots multiplient les pannes de courant pour ralentir le train

Du convoi Apfelkern, il reste 11 trains qui sont passés sur le secteur électrique.

Etrangement, tous les chefs de PC sont résistants.

Passage à un aspect plus moderne que la vapeur mais soumis aux caprices techniques…l’opérateur du transfo électrique n’est pas sans rappeler celui des temps modernes de Chaplin.

Les bahnhof réquisitionnent alors les vapeurs.

9. Faites tomber les feux !

(1 :13 à 1 :14)

Pour ne plus être à la merci des coupures, les allemands réquisitionnent les locos de Sarray mais les cheminots avaient anticipé et font jeter les feux. Les locos froides demandent plusieurs heures avant de pouvoir repartir

La Résistance a ordonné de jeter les feux. Concrètement, on retire le charbon des locos, on ne peut plus créer de vapeur. Il faut plusieurs heures pour mettre une locos en pression (2 à 4 en moyenne)

10. On vous attend

(1 :14 à  1 :15)

Le convoi bloqué, les soldats paressent préférant leur sort aux combats qui les attendent dans une conscience de défaite. C’est alors que le convoi est bombardé et détruit par les Alliés

Le bombardement entremêle quelques images d’info au film. Parmi les allemands, l’un porte une moustache à la Hitler et se cache…fine allusion

11. débâcle

(1 :15 à 1 :18)

La Libération progresse et les premiers Allemands sont faits prisonniers alors que des officiers tentent encore de réquisitionner un locos sur un train bondé de voyageurs qui cherchent à rentrer chez eux

Au PC on suit les communiqués de la défaite qui s’accumulent.

Clément y adjoint des images d’archives de soldats allemands en déroute.

La musique est un hymne du Reich ralenti avec des accents funèbres.

Des officiers veulent réquisitionner une loco pour leur train. Elle est attelée à un train de voyageurs qui rentrent chez eux (nous dit le livre…étrange en pleine libération non ?)

12. Victoire

(1 :18 à fin)

Les cheminots résistants de Sarray, en groupe, suivent par les hauts parleurs les progrès de la libération. Ils ont gagné

Les derniers allemands sont stoppés en leur faisant croire que les Américains sont là.

La France est libérée mais on se méfie encore des poches de soldats allemands. Le Poste de Commandement suit la libération par communiqués les larmes aux yeux.

Un train pavoisé circule  (le 122....évocation de 212) et passe devant le pk 212 devant les ruines du 1504. Fleurs, drapeaux mais aussi faucille et marteau, FFi et une inscription à la gloire des cheminots sur le fourgon qui s’éloigne alors que des ouvriers refont la voie. Début de la reconstruction.

 

Loin de moi l’idée de critiquer et de remettre en cause le sacrifice héroïque des résistants mais il faut quand même nuancer les choses.

Evacuons tout de suite l’aspect cinématographique…franchement j’aime bien, les emplacements de caméra sont parfaits, parfois surprenants avec de très beaux plans rapprochés souvent au ras des voies. Du beau travail. Question acteurs il parait que ce sont de vrais cheminots dans leur rôle ce qui expliquerait des maladresses de jeu mais lorsqu'on consulte la fiche du film, chaque nom est répertorié acteur ...donc sont-ils vraiment des cheminots ou leurs rôles dans le film les ont-ils faits enregistrer dans la catégorie. Cependant les gestes et attitudes font vrais, c’est juste l’intonation de la voix qui fait faux.

Ce film est totalement hagiographique et on ne peut le comprendre qu’avec un certain nombre d’éléments internes et externes ainsi que le recul de la science historique depuis 1945.

Commençons par les éléments externes…1944 : libération de la France. Oui, mais aussi 4 ans d’occupation. La guerre et les groupes qui l’ont fait ont eux même leur propre histoire. Je ne ferai pas l’histoire de la Résistance, certains l’ont fait bien mieux que moi mais posons quelques repères.

D’abord, l’ensemble des français peut se diviser en 3 groupes : les collaborateurs (+/- 15%),  les résistants (+/- 15%), les accommodants (+/- 70%).

Si on comprend facilement ce que sont les collabos et les résistants, on oublie que 70 % des gens attendaient que ça se passe en essayant de survivre au mieux…qui peut leur en vouloir car s’engager demande du courage.

De même, les chiffres avancés sont en partie faux car ils ne reflètent pas l’évolution de ces groupes ; le nombre de résistants s’est accru durant l’occupation. Ainsi, les premiers résistants sur le sol Français furent peu nombreux mais à partir de fin 1941, les progrès numériques furent importants pour plusieurs raisons : d’abord parce qu’à partir de juin 41, l’Allemagne envahit l’URSS et les communistes reçoivent l’ordre de Staline de résister (le PCF interdit dès septembre 1939 est entré dans la clandestinité car Hitler et Staline étaient alliés = pacte de non agression d’aout 1939), les communistes étaient nombreux chez les cheminots. Ensuite, le STO (service du Travail Obligatoire) jette dans les maquis de nombreux jeunes refusant de travailler en Allemagne. Enfin, l’occupation de la zone libre en novembre 1942 (débarquement américain en Algérie) crée à la fois un espoir mais aussi accroit les résistances face à des allemands à la fois plus présents et plus agressifs au fur et à mesure des défaites (Afrique et URSS).

Eléments internes…En 1944, un discours fondateur, pur chef d’œuvre de politique annonce la suite…ce discours, c’est celui de De Gaulle

 

« Paris ! Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé, mais Paris libéré, libéré par lui-même, libéré par son peuple, avec le concours des armées de la France, avec l’appui et le concours de la France toute entière, de la France qui se bat, de la seule France, de la vraie France, de la France éternelle ».

 

Charles de Gaulle, 26 août 1944

 

Ce discours est très important car il place en avant la France comme artisan de sa propre libération. De Gaulle sait ce qu’il doit aux alliés en termes de matériel et d’effort militaire mais il ne doit pas mettre le France dans une position de pays vaincu qui le soumettrait aux Alliés (surtout américains).

Il faut donc se mettre sur le devant de la scène, éviter les désordres, éviter un dérapage de l’épuration sauvage et montrer qu’on contrôle la situation.

L’épuration aura lieu, sauvage et judiciaire, mais c’est surtout la première forme qu’il faut juguler au plus vite.

De Gaulle oublie volontairement certains aspects de la collaboration car on a besoin du personnel en place pour faire tourner le pays (police, gendarmes armés et préfets…). Robert Paxton dans sa thèse sur le régime de Vichy  nous dit que l’urgence de la libération nécessite l’appel à des spécialistes (pas de postes à des profanes mêmes héros) pour éviter le désordre, ce qui explique la continuité des administrations comme la cour des compte, l’inspection des finances, le conseil d’état. 2/3 des diplomates de 46 travaillaient sous Vichy et 50 % des préfets étaient déjà en poste en 39.

Montrer une France unie contre les Allemands et réconcilier.

 

C’est dans ce contexte que nait, ce que l’historien Henry Rousso appelle le « résistancialisme ». L’apologie des Résistants ; cela fait l’unanimité des gaullistes et des communistes (parti aux 75000 fusillés…sans doute seulement 7500). Toute la France est unie et brave, ce sont les allemands qui ont commis les exactions. Cette image s’enracine et en 1956, une image du film « Nuit et Brouillard » d’Alain Resnais est censurée… pourquoi ?

… parce qu’elle montre un gendarme Français. Il faudra des années pour dépasser ce consensus résistancialiste.

La « bataille du rail », sortie le 27 février 1946, nait de la volonté de Résistance-fer. La SNCF met de très gros moyens malgré la ruine du réseau et les besoins de reconstruction: balles réelles (plus faciles à trouver), vrais accidents et vrais déraillements comme avec une loco 140 G Pershing (amenée par les Américains en 1918). Les locomotives à vapeur 140 G 436, 231 H 566, 140 D 234, 030 A 629, 030 A 755, 141 C 133 et la locomotive électrique BB 173 ont été mises à disposition (rappelons que Renoir pour « la bête humaine » de 1936 n’en a eu que 2). Sans compter les structures : la ligne où se trouve la scène du déraillement et la grue sabotée.

Un des chefs de Résistance-fer est Louis Armand, homme remarquable, ingénieur qui sera arrêté le 25 juin 44 et libéré en même tant que Paris est libéré.

Décoré et compagnon de la Libération, Directeur du matériel adjoint en 46 (il facilite le film), il aura de hautes fonctions à la SNCF dont la présidence de 55 à 58.

Le film de Clément est une parfaite illustration du résistancialisme avec des situations proches de la caricature : les cheminots sont tous résistants et agissent au grand jour, pas de référence aux collabos (sauf une ligne sur un individu qui aurait de trop grandes oreilles), pas de référence à l’engagement politique (sauf le mot « camarade » lors de l’explication des actions à menées et la faucille et le marteau sur la porte du train final). On doit montrer une entreprise unie alors qu’on sait que sur les 500.000 employés certains ont collaboré…peu à la base, il est vrai.

Le dénombrement officiel des victimes cheminotes est de 2480 déportations dont 1 106 morts ou disparus (0.2% des effectifs), 819 fusillés (0.16 % des effectifs) et 39 décédés de causes diverses après leur arrestation ; auxquels il faut ajouter les accidents. Il faut admettre qu’ils étaient les mieux placés pour saboter les engins ou les installations mais ils furent aussi victimes des actes des maquis ou des alliés (dynamitage et mitraillage- bombardement en ligne) ; on avance le chiffre de 2361.

Le film nous montre des réunions d’explication pour poser des bombes comme une vente TUP…

La dépose de tracts aux yeux de tous…

La possibilité de contacter le maquis au coin de la rue et attaquer un convoi blindé sans savoir ce que c’est.

Mais aussi une peinture des allemands comme de grands naïfs…ces 6500 bahnhof (cheminots allemands chargés de surveiller la SNCF) qui visiblement ne connaissent pas leur métier et des militaires dupent de tout.

Enfin, une foire aux sabotages (60’’ de l’action du film sont sur les derniers mois de la guerre) alors que ceux-ci ont eu lieu plutôt sur 43-44 et surtout qu’ils devaient être très organisés, d’une part pour effectivement retarder les renforts allemands sur les fronts de Normandie  mais aussi en permettant une remise en œuvre très rapide pour acheminer les trains des Alliés (on se reportera au très intéressant livre : les trains de la libération de Vincent Cuny). Le nord ouest de la France a été totalement paralysé. On sait que la Résistance a organisé une grève en Aout 44 pour paralyser le réseau sous couvert syndical.

On sait aussi que le matériel a été fortement touché une très grande partie du matériel moteur a été détruit. Ce qu’on doit également admettre c’est une vaste destruction des infrastructures par les bombardements alliés surtout en Normandie. Il faut dire que les destructions s’accumulent, les résistants sabotent pour empêcher les Allemands d’agir contre les Alliés, les Alliés et FFI détruisent les installations pour nuire aux renforts allemands et les Allemands saboteront les installations pour couvrir leur retraite...

On estime que 18.000 km de voies restent utilisables sur 40.000 km du réseau. Quant aux locos, 6000 seulement restent en état de marche sur les 17.000 d’avant guerre (détruites ou réquisitionnées et dispersées à travers l’Europe).

Mais les Américains viendront avec des trains en kits, wagons prêts à assembler et 2120 locos 140 U

Réparties sur toute l’Europe, elles ne resteront pas en France et seront remplacées par les 141 R déjà commandées dont la première sera livrée le 17 novembre 45. Ils apporteront aussi le soutien logistique (grues) pour reconstruire vite des ponts métalliques en attendant mieux et les petites 030 TU qui resteront aux manoeuvres.

Toute la corporation résistante…ainsi la montre la bataille du rail mais pourtant, en 2006, la SNCF est accusée d’avoir contribué à la Shoah en fournissant trains pour la déportation. On a en mémoire qu’un seul tractionnaire (Léon Brochard) a refusé de conduire ces trains. L’entreprise de plus de 500.000 personnes n’a pas été unanimement résistante et même certains cadres étaient ouvertement vichystes n’hésitant pas à dénoncer leurs camarades (comme l’affirme Alain Lipietz dans un article de 2006).

L'État Français et la SNCF sont condamnés en première instance le 6 juin 2006. Le tribunal a reconnu que l'État et la SNCF ont fait plus que ce que leur demandaient les Allemands

Louis Gallois, président à l’époque, est bien gêné. Il est vrai que les moyens de transport étaient mis à la disposition des forces d’occupation pour les convois militaires et de pillage économique (prioritaires). Ces trains occupent la très grande majorité du trafic, les trains de voyageurs sont plus rares et bondés car les autres moyens de transport sont plus difficiles à utiliser (vélo ou gazogène pour de courtes distances mais plus d’essence pour les véhicules des particuliers)

La SNCF n’avait pas tellement le choix mais on sait aussi que les trains de déportation ont fait l’objet d’une facturation.

Objectons toutefois que les trains étaient bien gardés, impossible d’approcher. A Lérouville (Meuse), le 6 juillet 42, les déportés ont laissé tomber des messages, ramassés et distribués par les cheminots impuissants…d’autres exemples existent bien sûr.

 

Le film est donc une œuvre d’auto-propagande pour Résistance –fer et SNCF qui fait le catalogue de toutes les actions mises en œuvre par les cheminots pendant la guerre. Dans le contexte de la victoire, il est presque logique qu’il ait eu la palme à Cannes en 46. Il est certain qu'il faut le voir et finalement j'ai apprécié en ayant conscience du contexte de sortie du film.

L’unité de lieu fait que la concentration des actes ne peut être tenue pour exacte tant il est vrai que les représailles allemandes auraient été terribles. Mais si on prend les exemples de manière indépendante, ils peuvent être une bonne illustration de la résistance sectorielle. Les faits ont réellement existés mais sans doute de manière plus prudente et moins idyllique...héroïque en tout cas.

Gardons nous surtout de juger les uns ou les autres car je ne sais pas comment nous aurions pu réagir face aux mêmes choix et enjeux

Je vous propose un lien pour voir le film complet (90')…Bon visionnage

https://www.facebook.com/watch/?v=795063840667153

J’espère que ça vous a plu

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